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Le blog de memoires-polaroides

Le blog de memoires-polaroides

Ce blog raconte en majeure partie la vie de son auteur. Au fil de ses articles, ce dernier livre ses états d'âme et dépeint le monde qui l'entoure à sa façon.


Les mots cabossés

Publié par memoires-polaroides sur 6 Juin 2015, 20:43pm

Les mots cabossés

Mes mains poisseuses tiennent ouvert mon Moleskine. Sur ses pages lignées s'entassent mes mots tordus pas le lithium et les neuroleptiques que je m'enfile quotidiennement depuis des lustres. Je me relis comme si je lisais le texte d'un autre, avec presque une compassion, une sympathie. Je décrypte mon humeur, mon état d'esprit, à travers ma syntaxe et le type de vocabulaire que j'utilise. Les phrases courtes trahissent une suffocation due au manque d'air évident qu'entraîne l'angoisse. Les jurons tentent de compenser la frustration émanant de conflits irrésolus, de coups de pied au cul perdus, de blessures qui ne se referment pas et que je cogne de temps à autre, me croyant suffisamment guéri pour ne plus être vigilant.

D'un point de vue esthétique, lorsque je matérialise ma pensée en écrivant à la main, rien n'est vraiment à sa place et je dirais même que mon trait se barre dans tous les sens. C'est comme si je réinventais mes lettres à chaque mot. À les voir adopter ces positions improbables et toujours différentes, on dirait qu'elles participent à une partie fine. Elles s'emboîtent et se mangent entre elles de façon presque indécente.

Longtemps, j'ai détesté ma façon d'écrire mais je lui trouve désormais une certaine beauté, celle d'un capharnaüm suffisamment organisé pour qu'il me transmette les informations qu'il contient.

Très rarement, il m'arrive d'avoir une calligraphie presque digne de ce nom. Mes mains, ces sismographes de mon caractère volcanique, cessent alors complètement de trembler et dessinent des « a », des « b » et des « c » très catholiques que le commun des mortels peut aisément déchiffrer. Ces périodes correspondent généralement à des vides créatifs que je mets à profit pour faire des étiquettes de classement bien propres ou des cartes de vœux, à l'avance.

Mais dans la grande majorité des cas, lorsque je prends un stylo, je sais pertinemment que ça va être un massacre alors je ne fais plus d'effort, c'est peine perdue. Un graphologue dirait probablement des horreurs à mon sujet. Bref, formulé de façon plus triviale, j'écris comme un porc. Comme Céline d'ailleurs. La comparaison s'arrête là bien sûr. Louis-Ferdinand avait une excuse, il était médecin. Les pharmaciens qui ont eu à lire ses ordonnances étaient unanimes sur le fait qu'il écrivait comme un cochon. N'empêche que pour prescrire un antibiotique, je suis sûr qu'il savait faire preuve d'un talent littéraire inouï. Il devait tourner ça d'une manière !

Il fait une chaleur à crever aujourd'hui et la moiteur de ma main droite fait qu'elle peine à glisser sur le papier de mon carnet. Quelques lettres s'empilent, se ratatinent, par manque d'espace, comme quand ça cartonne sur l'autoroute. Avant, je rêvais d'une belle écriture faite de beaux pleins et déliés, un fantasme d'adolescent. Aujourd'hui, je m'en fous parce que ces hiéroglyphes qui noircissent mes carnets, ils sont à moi. Même si mon écriture est moche, il est impossible de la confondre avec une autre. À mon avis, Céline s'en foutait aussi de la gueule de ses mots. Il avait juste besoin de déchiffrer sa prose pour la retravailler. Bukowski écrivait à la machine parce sans ça, il n'aurait pas pu se relire le matin, à jeun. John Fante tapait aussi à la machine, pour les mêmes raisons que Bukowky.

Bon, je dois avouer qu'en ce qui concerne ces trois pointures, j'ai menti. En fait, ils écrivaient sûrement très bien, en tout cas, pour Céline, j'en suis certain. J'aurais aimé que ce soit vrai cette soit-disant corrélation entre une écriture dégueulasse et un grand talent mais il n'en est rien. On s'invente des histoires pour rendre la vie supportable et elle l'est à peine, cette garce.

Par contre, je peux affirmer que les gens qui mettent des bulles sur les « i » ne peuvent pas écrire correctement, je veux dire d'un point de vue littéraire. Je ne parle même pas de ceux ou celles qui mettent des cœurs sur ces mêmes « i ». Il ne faut jamais le faire, même pour déconner, au risque de se vider de son talent définitivement. Guillaume Musso et Marc Levy ont eu une relation épistolaire dans les années 80 et l'un d'eux s'est amusé à mettre des cœurs sur ses « i », ce que l'autre s'est empressé d'imiter. On connaît la suite, un désastre. Ces deux-là étaient pourtant des Céline, des Bukowsky et des Fante en herbe.
Un sacré gâchis.

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