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Le blog de memoires-polaroides

Le blog de memoires-polaroides

Ce blog raconte en majeure partie la vie de son auteur. Au fil de ses articles, ce dernier livre ses états d'âme et dépeint le monde qui l'entoure à sa façon.


Bar thérapie

Publié par memoires-polaroides sur 14 Février 2016, 20:03pm

Bar thérapie

La pluie n'en finit pas de rincer mon foutu pays. La terre commence à saturer et à n'en plus vouloir de cette flotte qu'elle dégueule par grandes flaques, par petites mares parfois. On est dimanche matin. Je fais l'ouverture du café turc que j'affectionne, côté suisse. Il y a ce type abîmé qui entre. Il vient toujours là et passe des journées entières à ne rien faire d'autre qu'à siroter du café ou de la bière pression. Il attrape parfois un journal, peut-être par mimétisme étant donné que tous les vieux lisent les nouvelles le matin. Il doit avoir 70 ans mais sa peau ridée comme un scrotum par temps froid lui donne une allure de vieillard. Il est affreusement maigre et bouge avec des mouvements lents et mal assurés qui me rappellent la marche du phasme. Son air inoffensif fait que je ne peux voir en lui que de la gentillesse, mais je me dis parfois que je me trompe et que ce type a sûrement sa part de méchanceté, peut-être même de sadisme. Une fois chez lui, si ça se trouve, il capture une mouche et lui arrache les pattes, les ailes, avant de l'écraser doucement entre son pouce et son index. Avec la meilleure volonté du monde, je n'arrive pas à imaginer une scène pareille. Même si cet homme ne sourit jamais, il ne doit pas avoir suffisamment de dégueulasserie en lui pour faire du mal, y compris à une mouche. On dirait que la pluie a redoublé. Elle crépite violemment sur le bois de la terrasse.

À la table à côté de la mienne, deux sexagénaires remplissent ensemble une grille de mots croisés. Ils ont un accent plutôt rural et sentent la sueur mêlée à un parfum bon marché. C'est drôle, ça me fait penser à ce sketch des deux camionneurs qui dissertent sur de la musique classique dans la cabine de leur douze tonnes. Il y avait Jean Yanne dans le duo. Les gens sont parfois inattendus. Il suffit d'aller au delà de leur vitrine fade, de faire quelques pas dans leur boutique pour découvrir des histoires étonnantes. Ici, beaucoup de clients semblent avoir un vécu. Je croise des poivrots, des bénéficiaires de l'AI (assurance invalidité), des vieilles femmes seules déglinguées par la vie, des étrangers tentant de survivre, des tox rangés et quelques personnes normales qui pour le coup font presque tâche. Enfin, c'est un café digne de ce nom, pas un Mc Do froid comme une pissotière de gare. Ici , les mecs attaquent au blanc à 9 heures. Ils descendent deux ou trois verres en quinze minutes histoire de se mettre à niveau après une nuit d'abstinence puis le rythme se calme et ils finissent par siroter paisiblement. Beaucoup de ces soiffards sont de grandes gueules avec une aversion pour le changement alors ils sont malheureux et picolent encore plus. Ils braillent des poncifs de réactionnaires dont toute la salle profite mais le vieux type maigre et ridé ne bronche jamais, comme si cela faisait partie intégrante de la vie de café ou comme s'il était sourd. Je crois que je n'ai jamais entendu le son de sa voix ou alors je l'ai oublié. Les serveuses savent quoi lui donner : un expresso pour commencer la journée, quelques mousses puis le plat du jour suivi d'autres mousses. Même s'ils ne sont pas interdits aux antipathiques, les troquets sont des lieux où l'on échange de la chaleur humaine. Lorsque l'un d'eux ferme définitivement, ce sont quelques lits d'hôpital qui trouvent preneurs. Et là, en terme de coût, puisque cette préoccupation prime plus que jamais sur toutes les autres de nos jours, on explose le budget. La sécurité sociale devrait de ce fait revoir sa politique en matière de santé et inclure les consommations dans les cafés dignes de ce nom dans ses remboursements, tout en veillant à limiter la consommation excessive d'alcool. Un millier de cafés ferment chaque année en France. Cet endroit de convivialité a été remplacé soit disant par le lieu travail et le cocon familial. Métro, boulot, dodo. La vie rêvée... Je n'ai pas envie de vivre dans cette société d'esclaves pousseurs de caddies mais j'ai conscience que moi aussi je me formate, que mes idées, malgré tout, s'adaptent à la bien-pensance. Je deviendrais complètement stupide si une voix intérieure ne me bottait pas régulièrement le cerveau. Sans elle, je rejoindrais probablement le troupeau pour bêler des inepties. Cette voix attise ma culpabilité, certes, mais m'écarte de la commune bêtise et me permet d'avoir le recul nécessaire pour faire mes choix. Je suis TOUT mais j'ai encore la possibilité de décider de ce que je veux faire de ce terrible potentiel.

Pour finir, seuls importent les actes.

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