Du bon pied

Il y a des matins comme ça où l'on y croit un peu, où l'on se dit qu'il est possible de se refaire, comme au casino, que la vie est une partie de dés qui peut tourner à notre avantage. Une illusion, probablement, mais puisque tout n'est qu'illusion alors je suis preneur pour ce qui est de ces enthousiasmes passagers.

Je n'ai pas écouté les infos depuis deux jours et c'est ce qui me permet de refaire surface. Ce petit confinement médiatique a pour avantage de faire descendre la courbe de mon anxiété de façon significative. À un moment, il faut refuser de considérer son cerveau comme une poubelle, refuser d'y entasser de la merde en espérant garder le moral.

J'ai avalé ma chimie et je sirote un deuxième double expresso, bercé par une soul paisible, en sourdine. C'est étrange cette sensation que j'ai d'entamer une nouvelle vie tout en sachant que l'ancienne viendra bientôt me mettre deux ou trois baffes pour me faire revenir à la réalité. Je suis comme amoureux mais je ne sais ni de qui ni de quoi. J'aime juste être là, faire ce que je fais.

Les engins de chantier se mettent en route au pied de ma tour. Il va falloir que je sorte, que je fuis le bruit engendré par les travaux en cours. Je redoute les premiers coups des marteaux, les premiers hurlements des perceuses. Ça y est, les voilà.

La météo affirme qu'il n'y aura ni neige ni pluie et laisse même espérer quelques apparitions du soleil. J'ai envie d'aller crapahuter au pied du Jura, derrière la maison de mon adolescence, en espérant qu'il restera un peu de blanc sur les champs, les arbres. Peut-être verrai-je quelques animaux sauvages. Il en reste. 

Je veux me remplir les poumons avec un peu d'air frais, laisser mon regard vagabonder au loin, écouter le silence que la présence humaine ne permet pas.

Je me souviens du premier jour où on a emménagé avec mon père dans cette maison, après le divorce. J'étais content de ce grand chambardement, de cet endroit à découvrir, de ma nouvelle chambre. Après m'être sommairement installé, je suis allé faire un tour un peu plus haut, sur ce chemin qui s'enfonçait dans la forêt, heureux. Pourtant, la séparation de mes parents, je la digérais mal. Ce déménagement me donnait probablement l'illusion de tirer un trait sur ma souffrance mais en vérité, il n'en était rien. Les changements de lieux font diversion mais ne guérissent pas de certaines blessures. N'empêche que j'ai de merveilleux souvenirs dans cette baraque. Certains me reviennent ce matin.

Je me prépare et file me balader dans mon ancien quartier, ce musée à ciel ouvert.