L'étui

Je sens encore l'odeur du café, celle qui s'échappe de ma tasse vide tapissée de mousse. Elle est à côté de mon écran, devant mon clavier. Je ne sais pas pourquoi mais depuis quelques jours mon odorat est très sensible. En me promenant jeudi dernier autour du lac de Divonne, je pouvais sentir le parfum agréable de la plupart des femmes à une distance étonnante. Je ne parle pas de celui dont elle s'aspergent parfois avec exagération mais plutôt de l'odeur discrète d'un shampooing, d'une lessive, laissée dans l'air alors qu'elles couraient ou marchaient d'un pas rapide.

Les gens ont une odeur, les maisons aussi, et c'est peut-être là l'essentiel de leur identité, avant leur image. Je crois que je pourrais savoir chez qui je suis si l'on m'y emmenait les yeux bandés, rien qu'en respirant l'air d'une pièce.

Mon père avait l'habitude de se parfumer avec de l'eau de Cologne bon marché. Il utilisait une petite paire de ciseaux pour se couper les poils du nez et rangeait cette dernière dans un étui en cuir rouge. Il est mort il y a bientôt 15 ans et l'étui sent encore son odeur, pas seulement celle de son eau de toilette. Je respire parfois cet objet que j'utilise régulièrement et le souvenir de mon père refait surface puissamment. Une photo serait bien incapable de me provoquer une telle émotion, pas plus que le son de sa voix que j'avais pourtant enregistré avec de l'excellent matériel.

Une anosmie me rendrait bien malheureux. C'est une des raisons qui me pousse à être très vigilent avec le coronavirus. Il y a 3 ou 4 ans, à la suite d'un rhume carabiné, j'ai perdu l'odorat quelques jours. J'avais beau mettre mon nez dans un paquet de café moulu, je ne sentais plus rien. Vu que chez moi les problèmes de santé ont toujours un caractère définitif, un vent de panique a soufflé dans mes narines anesthésiées. Vivre sans odeur me paraissait difficilement envisageable à long terme. La nourriture, du coup, n'avait plus de saveur. Un petit cauchemar...

Je me demande si la salle de classe de mon enfance, lorsque j'étais à l'école primaire, a gardé la même odeur. Ça serait étonnant car depuis des années elle fait partie de la mairie et sert d'accueil aux administrés. Les meubles modernes ainsi que les nouveaux revêtements laissent échapper beaucoup de substances dans l'air et ont probablement eu raison de la signature olfactive de cet endroit où j'ai aimé apprendre, il y a plus de 40 ans. Enfin, j'irai tout de même faire un tour là-bas prochainement, on ne sait jamais. La bâtisse est belle, même si elle a, je le crains, perdu son âme.

On voudrait, pour certaines choses, que rien ne bouge afin de pouvoir revisiter son enfance à défaut de la revivre vraiment.