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Le blog de memoires-polaroides

Le blog de memoires-polaroides

Ce blog raconte en majeure partie la vie de son auteur. Au fil de ses articles, ce dernier livre ses états d'âme et dépeint le monde qui l'entoure à sa façon.


Blues 2

Publié par memoires-polaroides sur 16 Septembre 2014, 10:32am

Blues 2

Je suis à l'hôtel J. pour la énième fois. Maintenant les serveurs discutent le bout de gras avec moi et le directeur me serre la main. Je suis un client à part. Ils ont compris que je n'avais pas de fric, du moins pas beaucoup. On reconnaît les riches à leur air blasé. Lorsqu'un employé leur fait la visite de ce palace zen, ils ne font pas des "Oh!" et des "Ah!" comme "les Ch'tis à Las Vegas" mais se contentent de hocher la tête en tirant la tronche. Je me suis mis "Wish You Were Here" de Pink Floyd dans les oreilles et je n'ai que très peu conscience de ce qui se passe autour de moi. Mon gros index tapote sur le clavier de mon smartphone avec pas mal d'assurance si je considère mon âge avancé. Je suis né en 1969. À cette époque, pour taper un texte en dehors de chez soi, ça n'était pas simple. L'outil ne tenait pas dans la poche d'un veston. Tiens, j'ai trouvé ce bout d'article sur la toile:


En 1969, Ettore Sottsass, assisté de Perry A. King, dessine Valentine, une nouvelle machine à écrire portable (de la marque Olivetti). Celle-ci, réalisée en ABS moulé par injection, est légère, facilement transportable et utilisable n'importe où grâce à sa mallette rigide qui peut aussi servir de support.


Ils utilisaient déjà le terme "portable". L'engin ne pesait pas moins de 3 kilos 900 grammes... Tout est relatif. Dans 40 ans, mon smartphone sera dans un musée et fera ricaner les gosses. Pour l'instant, c'est le top, comme la Valentine en son temps.


Mon moral va mieux aujourd'hui. J'ai presque envie de vivre. Je me sens bien. J'ai l'impression que tout est en place, absolument tout, le ciel, les oiseaux dedans, les arbres, mon cul dans ce fauteuil club, les aiguilles de ma montre, le crétin qui gare son bolide allemand sur le parking à côté, les truands en liberté qui paradent à la télé (le barman a mis une chaîne info), mon baladeur calé maintenant sur Jamie Cullum et j'en passe. Rien ne me stresse ou ne m'angoisse. Il est vrai que je ne suis pas dans mon état normal. Je suis en crise. Mon intérêt pour cette machine à écrire portative l'atteste. Je m'ouvre au monde telle une fleur s'ouvrant au soleil matinal.

L'hôtel J. s'agite. Une dizaine d'employés s'occupent d'un couple qui vient d'arriver. Le personnel est plus nombreux que la clientèle, c'est indéniable. Un jour, un responsable va venir me voir avec un air un peu emmerdé pour me dire qu'il ne faut plus que je vienne dans son établissement parce que je fais tâche avec mon sac de lycéen et le bazar que je mets sur la table. Il me dira que l'hôtel J. n'est pas une annexe de la bibliothèque municipale et enfin, j'en suis sûr, il ne manquera pas de me demander avec dédain ce que j'écris, ce à quoi je répondrai le sourire au lèvres : "J'écris l’histoire d'un homme qui a raté sa vie et qui essaye de ne pas trop en souffrir. Il arrive même parfois, entre deux déprimes profondes, à prendre du plaisir. Mais commençons depuis le début. Le type est né en 1969 à Genève, à l'hôpital cantonal. Réveillée en pleine nuit par de fortes contractions, la mère de ce futur neurasthénique chronique fut emmenée d'urgence et bla bla bla, bla bla bla, bla bla bla..."

Je sais que ça ne se passera pas comme ça, je me connais. Je partirai sans rien dire et ne remettrai jamais les pieds, les mains et tout le reste dans l'hôtel J. Il faudra que je change de crèmerie, une fois encore, mais des adresses sympa, il n'y en a pas tant. Le fait que je reste trois plombes à une table de bistro transformée en bureau ne plaît pas à tous les patrons, même si avec l'habitude, je sais lire sur leur visage s'il faut que je consomme à nouveau pour compenser. En gros, il convient de commander quelque chose toutes les heures si l'on veut espérer prendre ses aises dans une bonne ambiance. Au fait, c'est décidé, je vais acheter une machine à écrire Valentine. J'ai eu un coup de cœur en voyant des photos sur le net, et puis elle aura le même âge que moi, c'est rigolo. Par contre, étant donné le boucan qu'elle va générer (surtout si je suis inspiré), le barème change en matière de consommation si je m'installe dans un rade avec. Là, c'est champagne obligatoire. Tchac tchac tchac tchac tchac tchac... Retour du chariot... Chklang ! Sursaut des clients. Et puis je vais me remettre à boire de la bière, à la Bukowsky. Je n'ai pas son talent mais j'aurai au moins son look. Je me laisserai pousser la barbe et entre deux rots, je dirai des horreurs en anglais.

Le barman vient d'allumer les spots au plafond. Je suis seul dans la salle. C'est donc pour moi. Ça va, j'ai encore la cote. Je vais tout de même rentrer. Il faut savoir se faire discret, ne pas abuser. Je ne crois pas que j'amènerai ma Valentine à l'hôtel J.

Elle est rouge et ici c'est plutôt des nuances de marron. Ça jurerait.

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