On l’avait vue derrière la palissade.
C’est Jean qui a ouvert la marche et pénétré dans la
zone interdite. On a enjambé quelques planches,
quelques câbles boueux et on s’est arrêté pour la
regarder.
Nos têtes penchées en arrière, nos bouches et nos yeux
grand ouverts, c’était comme si on attendait la becquée
de cet oiseau arrogant.
Jean a baissé la tête.
- On monte ?
On était saouls.
On prenait de l’altitude en nous hissant sur l’échelle
avec précaution. Marc avait le vertige.
Le ciel étalait ses étoiles. Un halo de lumière couvrait la
ville. On a marqué une pause là où le bras et le corps de
la grue se croisent.
Marc ne voulait plus bouger. Ses jambes tremblaient.
Jean et moi avons poursuivi à l’horizontale, jusqu’au
bout du bras. Mon petit vertige me serrait le cœur.
Il a ouvert sa braguette et a pissé en bas. Je l’ai imité.
On rigolait, imbéciles malheureux, fier de souiller
Genève d’en haut, de si haut qu’on ne pouvait nous en
empêcher.
Nos jets se fracassèrent dans une rue fréquentée.
Quelques têtes se levèrent.
On ne détestait pas cette ville. C’était juste histoire de
tâcher un peu ses souliers vernis.
Trois diables en haut et elle en bas.
Texte tiré de « Mémoires polaroïdes » de Thierry Fraisse.
Illustration de Marc-Aurèle Versini.