Le café de La Pointe était près de l’hôpital.
Autant dire qu’il était bien placé.
Il était crasseux, déglingué, puant, petit, pointu comme
la proue d’un bateau sans la prétention de naviguer. Un
vrai naufrage.
On venait faire le plein d’alcool.
Les poivrots accrochés au bar nous enlevaient toute
culpabilité. Ils étaient gémissants et hurlants. On
sirotait, ils engloutissaient. A côté, on avait l’impression
de prendre le thé.
Pourtant, c’était bien du blanc qui nous remplissait
l’estomac, un blanc démoniaque qui nous hissait vers
des sommets comme pour mieux nous entraîner vers le
fond, au petit jour.
Un ivrogne passait parfois la porte avec un accordéon
ou une guitare et donnait de sa voix caverneuse et
incertaine sur des accords anarchiques.
On écoutait sa souffrance. Elle était pesante, fatigante,
insolente et juste.
Avant le verre de trop, celui qui trahirait tous les autres
cachés dans le ventre, on sortait prendre l’air et rendre à
l’ivresse sa liberté.
Nos pas poussaient La Pointe derrière nous comme une
petite honte.
Texte tiré de « Mémoires polaroïdes » de Thierry Fraisse.
Illustration de Marc-Aurèle Versini.